Roberto Garcia Saez est le directeur de Health Management Support, société de conseil en santé spécialisée sur les thématiques de maladies transmissibles, sécurité sanitaire et gouvernance www.hmsteam.org
Il est l’auteur de « ONU soit qui mal y pense », Editions des Etoiles 2011, et des pièces de théâtre « Transparence » 2012, « l’Oasis des doutes » 2018.
Comment fonctionnez-vous en période de confinement ?
Pendant le mois de mars, la priorité a été de rapatrier nos consultants qui étaient en mission au Sénégal, Guinée, République centrafricaine, Gambie et Asie du Sud-Est. Malheureusement, nous avons un consultant camerounais coincé au Burundi depuis trois semaines faute de vols. Certaines missions ont été suspendues et reportées à une date ultérieure, d’autres, considérées comme essentielles comme celles consistant à mobiliser des ressources financières pour les ministères de la Santé auprès du Fonds Mondial pour financer des programmes de lutte contre le paludisme, le VIH/Sida et la tuberculose, ont été maintenues.
Les consultants travaillent et échangent avec nos clients en téléconférence. Je pense que la communauté du développement pourra faire un bilan d’ici la fin de l’année sur les avantages et inconvénients du télétravail. Il aura fallu que le monde se grippe et soit forcé de stopper la machine infernale du développement économique pour que l’on puisse tester d’autres modes de collaboration.
C’est une situation sans précédent qui va nous fournir des données uniques, en réel, sans avoir besoin de recourir à la modélisation! Quelles tâches nécessitent vraiment de voyager? Est-ce que les coûteux « meetings » peuvent être remplacés par des séances en ligne?
Mais au-delà de mon secteur d’activité, c’est tout un système d’échanges de notre développement social et économique que nous pouvons repenser. Serons-nous capables d’opérer ces grands changements? Rien n’est moins sûr…
Préparez-vous des projets pour lutter contre la pandémie ?
Pas directement encore mais les thématiques prioritaires de la santé mondiale vont certainement être repensées. Car le Covid-19 nous montre à quel point la planète est un village qui en termes de santé publique se définit bien au-delà des frontières administratives et que son vivant doit communier au-delà des prêches religieux.
Il existe un Règlement sanitaire international défini par l’Organisation mondiale de santé (OMS) afin de renforcer la sécurité sanitaire internationale. Mais pour le mettre en œuvre, encore faut-il coordonner les efforts et financer ce plan. C’est une question de volonté et de priorité. Depuis les deux dernières décennies, les programmes de santé concernant d’autres maladies transmissibles ont été généreusement financés, notamment le VIH/Sida, la tuberculose et le paludisme, la vaccination.
A l’époque, certaines voix se sont élevées pour mettre en doute la faisabilité pour la communauté internationale de financer la prévention et des traitements à grande échelle pour des centaines de millions de personnes. Aujourd’hui, les faits nous ont démontré que cela était possible. Si ces maladies ne sont pas encore éliminées, la morbidité et la mortalité ont chuté drastiquement.
Mais une des choses que l’on a apprises, c’est que pour éliminer ces maladies il faut renforcer les systèmes de santé et la surveillance sanitaire, et surtout travailler de concert au-delà des frontières souveraines. Cette crise sera, espérons-le, le déclic pour que les nations du monde financent la sécurité sanitaire internationale.
Y a-t-il un risque, à votre sens, que d’autres questions de santé dans les pays en développement soient négligées au profit de cette épidémie ?
En Afrique, la faible densité de population et la forte ruralité du continent sont peut-être des facteurs favorables à une non-propagation du virus. Aussi, les pays du continent se sont mis en confinement assez rapidement en suivant l’exemple du reste du monde. Et puis n’oublions pas que l’Afrique, c’est la jeunesse du monde avec 60% de la population en dessous de 25 ans (Au Burkina Faso les ¾ de la population ont moins de 25 ans; en Ouganda, seulement 5% de la population a plus de 65 ans). Alors, on peut espérer que l’épidémie ne prendra pas.
Par contre, vous avez raison de souligner qu’une résurgence d’autres maladies transmissibles qui y sévissent est possible. Les risques sanitaires sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, il y a un risque de détournement des ressources financières prévues pour d’autres priorités de santé (tuberculose, paludisme…) pour financer dans la panique une possible flambée du Covid-19 à titre préventif.
On a vu lors des épidémies d’Ebola une accaparation dans l’urgence de kits de réhydratation destinés à des enfants ayant de simples diarrhées, une maladie qui tue par déshydratation plus de 2.000 enfants chaque jour. Au Liberia, nous avons également vu des campagnes de chimio prévention du paludisme saisonnier être annulées pour faire face à Ebola, laissant ainsi des milliers d’enfants exposés aux parasites en période de haute transmission.
Lorsque l’on doit répondre à une crise sanitaire sans l’avoir anticipée, les priorités de santé s’entrechoquent et rentrent en compétition. Cela a d’ailleurs été le cas en Europe où l’on voit que les consultations habituelles chez les médecins ont chuté de façon significative, notamment les maladies cardiovasculaires. Il y aura certainement des conséquences dues au confinement strict.
L’autre risque, ce sont les conséquences d’un confinement strict sur la chaîne d’approvisionnement alimentaire. On parle déjà d’une augmentation considérable du nombre de morts de faim en Inde dans des communautés défavorisées qui se sont vu privées d’accès aux denrées essentielles.
Il y a enfin les possibles abus de pouvoir de certains gouvernements totalitaires qui profiteraient de cette situation exceptionnelle pour renforcer les mesures répressives pour d’autres raisons que la pandémie.
Il y a quelque chose d’indécent dans la « téléthonisation » morbide de cette pandémie. Si la transparence des chiffres dans nos sociétés moderne est indispensable, mettre sous loupe la mort en direct d’une et une seule maladie, nous fait perdre la vision globale des causes de mortalité. Cela donne l’impression que certaines morts sont plus importantes que d’autres. Si on devait lister par ordre d’importance les causes de « mortalité » planétaire, le Covid-19 serait assez bas dans la liste. Le paludisme a déjà tué à ce jour depuis le début de l’année plus du double de personnes que le Covid-19, essentiellement des enfants et femmes enceintes.
En 1968, la grippe de Hong Kong aurait tué un million de personnes dans une population mondiale de moitié de celle de 2020. Le monde ne s’en souvient pas. 50 ans plus tard, avec notre capacité d’information en temps réel et la technologie dont on dispose, une grippe planétaire est une fatalité que l’on refuse. Il faudra donc être prêt pour la prochaine pandémie, même si les maladies qui tuent plus ne sont pas dues à des virus mais à des maladies génétiques. Mais ça, c’est une autre histoire…
(Propos recueillis par Sébastien Drans)
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